Pour qu'enfin l'avenir commence (2023)

pour ensemble

 

Créée  et enregistrée le 17 Septembre 2023 à Bagnolet

 

Ensemble Court-circuit, direction, Jean Deroyer

Jérémie Fèvre, flûte

Pierre Dutrieu, clarinette 

Jean-Marie Cottet, piano

Alexandra Greffin-Klein, violon

Laurent Camatte, alto

Julien Decoin, violoncelle

 

 

AVANT-PROPOS

            

Par intérêt et admiration pour la chose littéraire et pour répondre à la thématique « texte et vocalité » de la 4ème édition du festival Ensemble(s), j’ai choisi de partir d’un poème pour élaborer cette nouvelle pièce. « Pour qu’enfin l’avenir commence » est un ver extrait de Sans instance ce sang du poète antillais Aimé Césaire. Plus précisément, c’est l’avant-dernier ver du poème qui précède celui-ci  qui le conclue : « ces saisons insaisissables ce ciel sans cil et sans instance ce sang ».

« Instance » signifie ici « se tenir debout ». Aimé Césaire trouve le peuple antillais trop éteint, pas assez rebelle. S’il y a de l’amertume de la part du poète dans ce dernier ver, il y a paradoxalement une sonorité (allitération en « s ») et un rythme ternaire qui traduisent une volonté de mettre en mouvement une énergie encore amorphe, de réveiller « ce sang » pour l’instant « sans instance ». Selon moi, il faut comprendre cette énergie comme un écho et une réponse implicite à l’espoir décrit dans le ver précédent : « pour qu’enfin l’avenir commence ».

J’ai donc choisi le pénultième dernier ver du poème pour le titre de cette nouvelle pièce et, malgré sa longueur, le dernier ver comme sous-titre car il m’apparait nécessaire d’associer les deux. En effet, n’en dévoilons pas trop, ce ver en allitération va se révéler particulièrement important…

Pour traduire en musique l’énergie des mots de Césaire, j’ai choisi d’axer principalement mon travail sur les rythmes euclidiens, découvert par Godfried Toussaint et qui construisent la quasi-totalité des danses et musiques traditionnelles (tango, bossa, bembé, etc.) des aires africaines et latino-américaines et que j’ai pu apprécié la grande variété lors de récents voyages. En ce sens, le choix de les rapprocher d’un poème antillais semble assez naturel. Dans ce contexte, l’algorithme euclidien consiste à répartir de manière équilibrer et homogène des rythmes dans un espace temporel donné (une mesure ou un cycle de 4 mesures en général) ; cette répartition euclidienne s’inscrit dans la continuité de mes recherches sur les polyphoniques à voies égales (canons, hoquets, etc.) qui caractérisent mon langage. Si dans les musiques traditionnelles, les rythmes euclidiens sont utilisés pour des cellules rythmiques courtes et répétées, il est tout à fait envisageable de l’étendre à des cellules rythmiques plus complexes, à des séquences plus longues voire même à des mouvements entiers. La pièce alterne les séquences courtes et les longs processus et dévoile ainsi une utilisation de ces rythmes dans une grande variété de situation. L’effectif instrumental permet une palette à la fois complète et synthétique à trois couleurs (vent, cordes et clavier) ; il est tout à fait calibré pour équilibrer des polyphonies euclidiennes et répondre à une écriture virtuose grâce à sa légèreté et sa souplesse.

 

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Pour donner vie à cette nouvelle partition, l’ensemble Court-circuit est le partenaire idéal. Cette pièce, d’une grande virtuosité (principalement dans la mise en place collective), nécessite des interprètes capables de gérer l’autonomie vocale tout en maintenant l’écoute polyphonique. Depuis des années cet ensemble est une référence incontournable dans le concert de chambre contemporain et a porté ce genre à un niveau d’excellence en répondant sans faillir aux défis des écritures instrumentales les plus audacieuses. C’est un honneur de pouvoir présenter ce projet avec eux et pour eux et une émulation forte pour mon travail compositionnel. Je dédie tout naturellement cette pièce à l’ensemble Court-circuit, ainsi qu’à ses directeurs Philippe Hurel et Jean Deroyer.