À l'os (2023)

pour trio

 

Enregistrée le 2 octobre 2023 au studio 104 de Radio-France (Paris)

Diffusée du 4 au 11 décembre 2023 dans l'émission "Création mondiale" de Anne Montaron

 

Ensemble Court-circuit,

Eve Payeur, percussions

Joana Ohlmann, harpe

Jean-Marie Cottet, piano

 

 

AVANT-PROPOS

            

            Que reste-il d’une activité artistique dans un monde dominé par un capitalisme mortifère qui exacerbe l’individualisme, qui met les personnes en compétition les unes contre les autres et les poussent à produire toujours plus, et qui, crise après crise, fracasse les plus démunis et bousille la planète ?

 

À l’os, complétement décharnées, les conditions matérielles d’existence se dégradent partout et pour (presque) tout le monde. Les artistes n’échappent pas à la règle. Réduit à faire toujours plus avec toujours moins, selon la vieille rengaine managériale, l’humanité « n’a qu’à s’adapter » selon la formule de Barbara Stiegler. Alors pourquoi continuer à faire semblant ? Alors allons-y puisqu’il faut réduire : À l’os… se veut une pièce frugale, loin du faste et des belles images sonores que cette formation instrumentale pourrait suggérer ; la sonorité générale y sera estompée, étouffée, sèche, rachitique et boisée, peu sonore et peu réverbérée, en deux mots : funèbre et squelettique.

 

            Si À l’os… est bien l’allégorie, la métaphore filée de ce dénuement toujours plus grand, il n’en demeure pas moins que la probité artistique agite toujours le processus créateur et que cette contrainte est bien évidemment envisagée comme un défi excitant à relever. Il n’est nullement envisagé ici que cette privation soit perçue comme une punition, ni pour l’auditeur, ni pour l’interprète. Au contraire, cette contrainte se veut être génératrice d’un souffle puissant et déterminé à conquérir des territoires sonores peu usités et à montrer à quel point l’art de la disposition des sons dans le temps est capable de se renouveler, de s’épanouir et de briller même décharné. C’est d’ailleurs une condition nécessaire : il n’y a pas d’art sans contraintes ni partis pris. Sans ambages et sans enrobage, les techniques de mon langage compositionnel y seront encore davantage mises à nue : polyphonies à voix égales, contrepoints ciselés, rythmes euclidiens, jeux de trompe-l’oreille, pour – comme dans la plupart de mes pièces précédentes – mettre en avant la virtuosité collective.

 

***

 

             Produire l’excellence et pousser toujours plus loin l’exigence de la forme concert a toujours été la marque de fabrique de l’Ensemble Court-circuit. Ce projet me donne enfin la possibilité d’écrire à nouveau pour ces musiciens dont je ne cesse d’admirer le talent de concert en concert. Je ne vois pas de meilleurs complices pour sublimer ce décharnement sonore et virtuose. Je leur dédie cette pièce ainsi qu’à Philippe Hurel, mon ami, mon maître, défenseur infatigable d’une certaine conception de la création musicale : exigeante et avant-gardiste.